Source : Rue89Bordeaux.com par Walid SalemL’œuvre de Suzanne Treister « Le Vril », prévue sur le Bassin à flot n°1 dans le cadre de la commande artistique Garonne, lancée par Bordeaux Métropole, ne plait pas aux habitants de Bacalan. Ils lui reprochent ses références nazies.
« No pasaran! » assure Luis Diez. Descendant d’une famille de Républicains espagnols – dont 22 membres ont été tués pendant la guerre civile et l’établissement de la dictature franquiste – ne voit rien d’autre dans « Le Vril » qu’une apologie du nazisme et des régimes dictatoriaux : « Le titre de la sculpture de Suzanne Treister est une allusion aux idées nazies et à la confrérie Soleil noir qui s’inscrit dans l’idéologie SS. Les Bacalanais s’insurgent contre cette sculpture équivoque. Ils ne s’opposent pas à la présence de l’art contemporain dans l’espace public, ils étaient les premiers à regretter la disparition de l’œuvre Respublica du dessus des silos, considérée comme un hommage à la République. » « Attendez de voir la réaction des anciens combattants » Luis Diez est le président de l’Association de défense des intérêts du quartier de Bacalan. Il est à l’origine de l’érection du monument en souvenir des 3 000 prisonniers espagnols réquisitionnés par les Allemands en 1940 pour construire la base sous-marine : « Nous avons voulu ce monument pour rendre hommage aux 3000 Espagnols, mais aussi aux 3000 autres personnes de nationalités différentes qui ont travaillé dans l’enfer de ce chantier contraintes et forcées pas les nazis. L’œuvre de Suzanne Treister devait être à côté, au fond du bassin n° 2. » Le nouvel emplacement est dans le bassin n° 1, devant le Hangar G2. De l’autre côté, se trouvent les deux formes de radoub (cales sèches) qui pourraient accueillir l’activité de réparation des yachts de luxe. Selon Robert Rous, le vice-président de Lagon bleu, association de propriétaires de bateaux des Bassins à flot, la sculpture pourrait gêner les manœuvres. Contacté par Rue89 Bordeaux, le port autonome ne confirme pas ce risque et assure qu’il n’a pas été consulté dans l’étude de ce projet. Il a souhaité cependant ne pas prendre position dans cette affaire. Mais cette question « d’ordre technique » est secondaire pour Robert Rous. Il fustige surtout une décision prise par des personnes « qui ne savent pas de quoi elles parlent ou qui n’ont pas réfléchi à la portée dérangeante de ce projet » : « Attendez de voir la réaction des anciens combattants quand ils vont l’apprendre. Vous allez voir comment ça va se passer. Un monument fait avec les restes d’un bateau allemand sorti du fond de la Garonne, transformés en soucoupe volante rutilante, et qui s’appelle Vril, vous croyez que les anciens combattants vont laisser faire ? » Le Vril, une société souterraine puissante Sur son site internet, Suzanne Treister détaille son projet. Elle déclare avoir « été frappée d’apprendre que de nombreux bateaux allemands datant de la Seconde Guerre mondiale se trouvent toujours au fond de la Garonne » et explique que la transformation de l’un d’eux constitue « la métamorphose d’une chose en une autre, pour donner chair au processus physique de mutation dans la ville ». L’idée d’un « vaisseau spatial français » transforme donc le « fantasme de puissance et de contrôle catalysé par une guerre nazi » en « un rappel de la guerre et du conflit » mais aussi en « un avenir à imaginer et à construire » renforcé par la technologie et l’imaginaire de la science-fiction. L’artiste anglaise souligne la puissance que ce vaisseau représente en empruntant au roman d’Edward Bulwer-Lytton, « La Race Future » (1871), le nom « Vril » donné à une société humaine et souterraine ultra-puissante. Cette notion aurait inspiré des groupes aux idéologies extrémistes qui prônent les races supérieures, notamment parmi les nazis. L’artiste reconnaît que « l’histoire idéologique du “Vril” et de la “puissance du Vril” véhicule des idées qui pourraient être néfastes et déclencher des guerres ». Venue à Bordeaux le 29 octobre pour une séance de travail au Capc autour de son œuvre avec une équipe constituée de personnes du Capc, de la Métropole et de la Mairie de Bordeaux, Suzanne Treister rencontre Luis Diez. Ce dernier s’est invité par surprise à la réunion et assure avoir écrit à l’artiste sans jamais avoir de réponse. Celle-ci défend sa position : « Je vous comprends à 100%. J’ai moi aussi perdu mes grands-parents pendant la guerre. J’ai cherché tout ma vie à surmonter ce passé et cette épreuve. Mais le Vril que je propose n’incarne plus les idées nazies mais le dynamisme français. » Une explication qui ne convainc nullement le représentant des habitants de Bacalan qui quitte la réunion toujours aussi déterminé. « Autant rendre hommage à l’opération Frankton »Présent lors de cette réunion, Alain Chiaradia, chargé de mission commande artistique à Bordeaux Métropole, ne cède pas : « Toutes les œuvres artistiques que nous avons installées dans l’espace public ont été remises en cause. Pour chacune, nous avons des demandes de changement sur tout, sur la forme, sur le fond, sur le nom… et parfois de façon violente. On ne va pas changer d’avis à chaque fois, on n’avancera jamais. Celle-ci a été présentée aux élus qui ont voté pour et personne ne peut contester cette décision. » Cependant, si l’œuvre a été présentée aux élus, elle n’a pas été présentée aux habitants de Bacalan. La mairie du quartier a demandé que la maquette soit exposée à la Maison du projet des Bassins à flot. Elle ne s’y trouve toujours pas, la Maison du projet précisant qu’elle ne montre que les travaux pour lesquels le permis de construire a été accordé. Alain Chiaradia reconnaît néanmoins, tout comme l’artiste, qu’il est important de revoir « la façon d’approcher le public sur une œuvre d’art » : « C’est une histoire importante et ce monsieur (Luis Diez) est sincère. sa réaction n’est pas anodine », reconnaît Suzanne Treister. L’idée d’accompagner l’œuvre d’un panneau explicatif en plusieurs langues, « surtout en espagnol », ne suffira probablement pas à apaiser les esprits. D’autant que Luis Diez a écrit une lettre à Alain Juppé pour lui faire part des inquiétudes des Bacalanais. Il s’en explique : « Si la question est de rendre un hommage à un événement local fort de la Seconde Guerre mondiale, autant le rendre à l’opération Frankton (une opération commando menée par dix britanniques en kayak pour le sabotage réussi de navires allemands dans l’estuaire de la Gironde, NDLR). » En attendant, le vaisseau spatial Le Vril ne semble pas paré pour son lancement sur les Bassins à flot.
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Novembre 2016
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