Source : Lesinrocks.com par Mathieu DejeanDepuis plusieurs semaines, l’ONG Sea Shepherd mène une campagne pour l’interdiction des massacres de dauphins sur les îles Féroé, en intervenant sur place pour les empêcher. Mais est-ce la bonne méthode pour s’y opposer efficacement ? L’ethnocétologue et réalisateur François-Xavier Pelletier doute de la pertinence des actions agressives et médiatiques.
Vidéos choc, actions directes en semi-rigide, blousons noirs et logo inspiré de la piraterie : les activistes de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd font beaucoup parler d’eux en ce moment du fait de leur campagne sur les îles Féroé pour empêcher le “grind”, une chasse traditionnelle de dauphins. Depuis le mois de juin, 12 d’entre eux ont été arrêtés pour “trouble à l’ordre public”, et pour avoir enfreint la loi du grind. Cela fait plusieurs années que cette ONG mène ces actions spectaculaires pour sensibiliser à la cause des dauphins au large des îles Féroé. Mais ses méthodes n’emportent pas l’adhésion de tous les défenseurs de la nature. L’éthno-cétologue François-Xavier Pelletier, fondateur en 1988 de l’association Homme Nature, et réalisateur du documentaire Féroé, l’archipel blessé, considère même que Sea Shepherd fait désormais “partie du problème”. En 2010 il avait été missionné par l’ONG pour enquêter aux Îles Féroé, avant de prendre ses distances. Entretien: Quand avez-vous assisté à un grind pour la première fois ? François-Xavier Pelletier – Je suis parti en 1987 faire une enquête et tourner un film sur les îles Féroé. J’avais entendu parler de cette chasse de globicéphales dans des livres. J’étais persuadé qu’elle était encore pratiquée de manière traditionnelle. C’est là que j’ai tourné les premières images sur le grind. J’ai filmé toute la chasse, du début à la fin. A cause de cela les chasseurs ont coulé mon bateau, ont crevé les quatre roues de ma voiture, et finalement ils m’ont mis en prison, c’était l’enfer. Après ce que j’avais vu, j’étais révolté. Ce n’est pas tant le massacre sur la plage avec tout le sang que cela génère qui m’a marqué, mais le stress des animaux rabattus par les bateaux de pêche avant qu’ils s’échouent. Comment la situation a-t-elle évolué depuis ? La situation à l’heure actuelle est dramatique. Ce reportage réalisé en 1987 (Les Îles féroces) avait eu beaucoup de répercussions, à tel point que nous avons créé l’association Globi contre cette chasse. Nous avions remis au gouvernement danois une pétition qui avait recueilli des milliers de signatures, mais ça n’a servi à rien. Le grind continue alors que ce n’est plus une nécessité sur le plan alimentaire pour les insulaires. De plus, la viande de globicéphale est dangereuse à la consommation. Cet argument était déjà connu à l’époque. Et elle n’est même pas vendue, puisqu’elle est distribuée gratuitement à tous les Féringiens. Pourquoi le Danemark n’interdit-il pas cette pratique ? Les Féroé constituent un pays autonome, qui ne dépend du Danemark que sur le plan des relations extérieures. Les îles n’appartiennent donc pas à l’Europe, et toute intervention extérieure sur ce qui relève de leur souveraineté s’avère donc difficile. N’oublions pas qu’il s’agit d’un archipel. Comme toutes les îles, les Féroé développent un esprit d’autonomie et de nationalisme très fort. Les Féroé ont subi pendant très longtemps le joug des Danois : il était interdit à ses habitants de parler le féringien par exemple. Par conséquent n’importe quelle intervention étrangère pour essayer de s’opposer au grind est très mal perçue. Ils n’imaginent même pas la possibilité que ce soit interdit. De plus, les Féringiens ont découvert qu’ils disposaient de ressources en pétrole. Ils disposent donc d’un moyen de pression pour faire un bras d’honneur à tous ceux qui tenteront de leur imposer quoi que ce soit de l’extérieur, à commencer par le Danemark. Comment faire en sorte que le grind soit supprimé dans ce cas ? Ce ne sont pas les interventions très agressives et très médiatiques de Sea Shepherd qui vont résoudre le problème. Celles-ci ont pour effet de renforcer les Féringiens dans leur position. La seule méthode pour convaincre les Féringiens de renoncer à cette pratique est pacifique. Quand j’ai découvert le cimetière sous-marin de globicéphales, en 2010, j’ai essayé de leur prouver que, contrairement à ce qu’ils disent, il y a un gâchis considérable, et qu’ils ne peuvent pas consommer toute la viande issue des grind. Je suis inquiet par rapport à ce qui se passe maintenant : toutes les campagnes pacifiques que nous avons menées, à commencer par le travail de sensibilisation des Féringiens qui veulent que cela cesse, ont été démolies par les interventions de Sea Shepherd. Qu’est-ce qui vous dérange dans les méthodes de Sea Shepherd ? En 2010, Sea Shepherd m’a demandé d’encadrer leur campagne sur les Féroé. J’y suis allé avec eux, avec l’objectif de comprendre ce qui se passait. Mais je me suis heurté à des gens qui cherchent davantage à fomenter une campagne médiatique qu’à résoudre le problème. Je leur ai toujours expliqué que les Féringiens étaient chez eux, que c’est un pays de droit. La seule façon de faire interdire ce grind c’est de discuter avec eux, de leur faire comprendre, de travailler avec les Féringiens qui sont contre. On ne peut pas changer les choses par la violence, l’agression et l’insulte. Mettez-vous à leur place. Sur le plan social et de la liberté les Féringiens sont des gens qui auraient beaucoup de leçons à nous donner. Quels arguments pouvez-vous opposer aux Féringiens pour les persuader d’abandonner cette chasse ? A cause des grind, des tonnes de sang de globicéphales contenant du mercure et des métaux lourds se déversent dans les baies réservées à l’aquaculture, et les polluent. Or l’aquaculture constitue l’une des ressources économiques les plus importantes des Féroé. Quand j’avais divulgué cette information au Parlement européen, les députés danois se sont inquiétés, car ils exportent leurs poissons vers l’Europe. C’est vers des solutions comme ça qu’il faut se tourner, pas vers des interventions qui ont pour unique vocation de faire de l’agitation médiatique. Tout notre travail a été détruit par ces interventions. Pour moi Sea Shepherd fait désormais partie du problème. Propos recueillis par Mathieu Dejean
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