Source : Ouest-France.fr par GASPARD BRÉMONDIl y a un an, Joachim Roncin, 39 ans, directeur artistique et journaliste musical au magazine gratuit Stylist, écrivait trois mots sur son compte Twitter : « Je suis Charlie ». Publié en fin de matinée, ce 7 janvier 2015, son tweet qui était avant tout un message personnel a, depuis, fait le tour du monde. Un an plus tard, il se confie. [GB] Joachim, comment « Je suis Charlie » est né ? Assez simplement, finalement. En fin de matinée, le 7 janvier, j’étais incrédule face à ce qu’il se passait. Mon boulot, à longueur de journée, c’est de travailler avec des mots, des images, des concepts. L’image, c’est ma manière de m’exprimer. Et à ce moment-là, j’ai essayé de me rappeler tout ce que Charlie m’évoquait. J’ai été élevé dans cet univers d’impertinence, de satire, avec Hara-Kiri, etc. L’humour faisait partie de mon enfance. Je me suis dit qu’au fond, ça faisait partie de moi… Même si je ne suis pas un fervent lecteur de Charlie Hebdo, et que je ne défends pas forcément sa ligne éditoriale, je défends un principe : la liberté d’expression. Tout ça m’a donc traversé… Évidemment, il y a aussi eu des phrases cultes qui m’ont marqué, comme celle de Kennedy (« Ich bin ein Berliner »), celle des Américains après le 11 septembre 2001 (« We are all Americans »), mais aussi des éléments de pop culture comme le film Spartacusavec tous les esclaves qui se lèvent et disent : « Je suis Spartacus. » Toute cette ambiance-là m’a conduit, à un moment donné, à me dire : « Mais moi, je suis Charlie. » À la base, c’était seulement un message personnel… Ce tweet, je l’ai posté vingt minutes après les attaques, à 11 h 52. À ce moment-là, je ne connais pas le nombre de victimes, je ne sais pas qui elles sont… Je sais juste qu’il y a eu une attaque à Charlie Hebdo. À aucun moment, je me dis que je vais faire un truc viral, pas du tout. Moi, je m’exprime personnellement à 400 abonnés. « Je suis Charlie », ça veut dire quoi ? C’est avant tout dire : « Je suis pour la liberté d’expression » et je pense aux familles des victimes. C’est tout ce que ça veut dire, il n’y a rien de politique, de sociologique, de religieux. C’est le message de quelqu’un qui ne comprend pas comment on peut tuer huit dessinateurs parce qu’ils ne faisaient que dessiner. Que ressentez-vous quand le message est repris partout ? Il n’y a pas de fierté, d’autant qu’on était en train de vivre un truc terrible. Moi, j’avais encore les jambes coupées. Forcément, le mercredi soir, je me suis rendu place de la République, à Paris, et j’ai commencé à voir les panneaux « Je suis Charlie ». J’avoue que l’on ressent un peu de gêne. Je suis surpris, je prends conscience que je me retrouve dans une histoire qui ne m’appartient pas. Assez vite, j’ai voulu m’en détacher. Je me suis dit : « OK, j’ai fait ça, mais c’est mon message personnel », et je le garde pour moi, en moi. Maintenant, les gens se l’approprient, et il faut que le truc parte, sinon je vais péter les plombs. Si je commençais à dire : « Les gars, c’est moi qui ai fait ça, etc. », ça aurait été du n’importe quoi… J’ai donc refusé plein d’interviews, car je trouvais ça indécent par rapport aux familles des victimes. Vous avez reçu énormément de messages… C’est très bizarre. Cette phrase, intime à la base, a fait sa propre vie. L’infiniment petit qui était en moi devient énorme et la propriété de tous. Jusqu’aux Simpson, jusqu’à George Clooney ! J’ai reçu tellement de messages ! Sur Facebook, Twitter, des gens me remerciaient… Qu’est-ce que vous voulez répondre, en plus ? On me disait : « Bravo, sublime… » Il n’y avait aucune félicitation à recevoir. J’ai fait un message personnel sur ce que j’ai ressenti, point. Et quand on ressent quelque chose, personne ne va venir vous féliciter d’avoir ressenti ça, non ? Puis j’ai reçu aussi reçu des messages de gens qui me disaient des horreurs et qui confondaient tout. On voulait faire de vous un leader, l’étendard d’une génération ? C’est ça ! Alors que je ne suis qu’un simple citoyen, avec une conscience et des valeurs. C’est tout. Des médias ou d’autres personnes ont voulu me coller une étiquette de celui qui a lancé le mouvement « Je suis Charlie ». Mais non… C’est faux. J’ai écrit cette phrase, oui, mais après, ce sont les réseaux sociaux qui ont fait le truc. Moi, je n’y suis pour rien ! Un an après, comment expliquez-vous que ces trois mots aient été aussi repris ? Parce qu’on s’est pris une telle baffe dans la gueule le 7, 8 et 9 janvier, qu’on avait besoin de se retrouver ensemble. Et ce slogan a peut-être cristallisé ce fait de vouloir dire qu’on est ensemble. On veut témoigner d’un non, ensemble, à la barbarie. C’est pour cela, je pense, que le 11 janvier lors de la marche républicaine, beaucoup de personnes portaient une pancarte « Je suis Charlie ». Depuis, beaucoup d’autres variantes du « Je suis » ont vu le jour… À partir du moment où quelque chose devient une sorte de principe de langage, c’est le revers de la médaille. « Je suis Charlie », c’est comme une pâte à modeler… Depuis, il y en a eu qui m’ont fait rire, comme « Je suis Chablis », « Je suis, je suis, je suis… Julien Lepers ». C’est intéressant quand c’est des purs traits d’humour. Mais il y en a eu d’autres, très peu de temps après le 7 janvier, avant même que les victimes soient enterrées. Les « Je suis Charlie Coulibaly », « Je suis Charles Martel ». Ce n’était pas possible… Pour moi, c’était essayer de trouver le bon mot, de faire un peu de com’. Ces gens-là voyaient qu’il y avait quelque chose qui rassemblait les gens, alors ils ont essayé de créer de nouveau une sorte de dissension dans le rassemblement, ça m’a foutu en l’air. Il y a aussi eu des trucs complètement cons. Je pense au moment où la candidature de Paris aux JO 2024 s’est lancée, il y a eu le slogan « Je suis 2024 ». Ça ne servait à rien, et ça ne voulait rien dire… Après, tout ça, c’est mon sentiment personnel. Je ne suis pas là pour donner les bons et les mauvais points, car ce slogan ne m’appartient pas.
Mais quand vous voyez plus de 4 millions de personnes dans la rue le 11 janvier, scandant « Je suis Charlie », et quelques mois plus tard le FN en tête du premier tour des régionales, cela vous inspire quoi ?
Cela m’inspire qu’on veut faire dire à « Je suis Charlie » beaucoup trop de choses. C’est ça, le problème ! « Je suis Charlie », c’est apolitique. Après, quand on me pose des questions sur le FN, j’ai tendance à dire que ça n’a rien à voir. Je ne suis pas commentateur politique. Je ne peux pas commencer à dire : « Tu votes FN, donc tu n’es pas Charlie. » Ce n’est pas à moi de dire qui a raison et qui a tort… Vous avez toujours condamné l’exploitation mercantile du « Je suis Charlie »… Oui. Je pense qu'il faut faire attention aux personnes qui font du commerce sur ce genre d'événement. Pour la plupart, je pense qu'ils ne reversent pas du tout l'argent aux victimes. Je me suis seulement rapproché de Reporters sans Frontières, en qui j’ai totalement confiance. Je leur ai dit qu’ils pouvaient naturellement se servir de ce message pour récolter des fonds pour la liberté d’expression. Finalement, avez-vous rencontré des personnes de Charlie Hebdo ? J’ai eu l’occasion de rencontrer Luz, Zineb (El Rhazoui) dans les coulisses de l’émission Le Grand Journal, sur Canal Plus. Plus tard, j’ai pu rencontrer Riss, Coco. Avant de les rencontrer, ce qui me perturbait beaucoup, c’était de savoir ce qu’ils en pensaient, eux. La seule chose qui me rapprochait d’eux, c’est que je suis journaliste. Et j’avais donc très peur de savoir ce qu’ils ressentaient, qu’ils ne perçoivent pas qu’elles étaient mes intentions à la base. J’espérais ne pas avoir blessé quelqu’un. Peut-être allaient-ils se sentir offusqués ? Mais non, lors de cette rencontre avec Luz et Zineb, c’était très intense. Ils m’ont témoigné de leur affection, m’ont remercié, c’était un moment très émouvant, j’ai pleuré. Depuis, on s’est revu. Quel impact a eu cet événement sur votre vie d’aujourd’hui ? Avant, je n’étais pas quelqu’un d’engagé. J’étais concerné, j’avais des convictions, mais avec cet événement-là, je pense que ça a été nécessaire pour moi de m’engager peut-être avec un plus de convictions qu’avant. Je le fais aujourd’hui avec Reporters sans Frontières. Je fais partie du conseil d’administration depuis six mois. Défendre la liberté d’expression, c’est très important. Il faut bien comprendre que la liberté d’expression n’est pas quelque chose d’automatique. En France, on avait été choyés jusqu’à présent. On se disait que c’était quelque chose de normal, de logique. Mais les attentats nous ont montré le contraire. Aujourd’hui, je vais dans les écoles, je parle de mon expérience, de ce qu’est la liberté d’expression, la diffamation, le blasphème, j’essaie de donner des clés aux plus jeunes. J’essaie de leur permettre d’avoir une bonne lecture d’internet. Le 13 novembre dernier, avez-vous écrit quelque chose sur Twitter ? Je connaissais une personne qui était au Bataclan, donc j’ai simplement écrit pour avoir de ses nouvelles, mais non, je n’ai pas essayé de trouver le bon mot. Je n’ai pas envie d’être une agence de communication de la terreur ou des bonnes causes. Ce n’est pas mon rôle. Je suis directeur artistique, je suis auprès de Reporters sans Frontières. Mon rôle, il est seulement là. Avec le recul, un an après, écririez-vous le même message ? Je le referais cent fois, mille fois. Je ne le changerais pas et ne renierais rien. Vos trois mots du 7 janvier feront en tout cas partie de l’histoire de France… L’histoire le dira… Je crois qu’on essaie toujours de se raccrocher à un symbole. Ce qui est sûr, c’est que ce slogan a cristallisé ma vie. Cela m’a changé, d’une certaine façon. Cela a été un tournant. Mais pour autant, je ne fais pas ma vie avec. Depuis, on m’en parle beaucoup, mais ma vie n’a pas changé outre mesure. J’ai été contacté d’un point de vue professionnel, j’ai tout décliné car je suis très bien où je suis. J’ai refusé beaucoup d’interviews… Mais j’ai écrit ce message, je l’assume. Je le défends, et je le défendrai toujours.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
InformationsCliquer sur la photographie pour accéder directement au site ayant posté la news Archives
Novembre 2016
Categories
Tous
|